La politique est-elle nécessairement dialectique?
Agir provoque et réveille des résistances. La tentation peut ainsi être grande de ne rien faire en laissant la situation se régler d'elle-même, en "donnant du temps au temps", en "laissant faire, laisser passer"... Cette attitude n'est pas l'apanage de la droite ou de la gauche. Localement, la municipalité précédente a désinvesti la ville, négligeant l'entretien du patrimoine public, oubliant qu'il fallait investir dans l'activité de la ville pour lui permettre d'être socialement généreuse; les successeurs par un renoncement symétrique, cherchent à attirer les investisseurs avec un zèle ostensible, en livrant la ville à leurs appétits, sans le moindre projet de développement équilibré, durable et concerté. Le dirigisme de gauche a accouché d'un autoritarisme de droite. Notre ville a de longue date pratiqué la « triangulation » et le dépassement des clivages idéologiques classiques: la gauche avait excessivement modéré les impôts locaux, la droite sitôt investie, les a brutalement et massivement augmentés, sans les baisser sur la durée. Nous sombrons dans une opposition stérile où chacun devient le miroir de l'autre, dans un conservatisme fataliste et triste.
Il est aussi tentant de renvoyer les miroirs dos à dos pour mieux les briser, d'envisager le salut au centre... Mais pour déterminer le centre de 2 points, il convient de les situer clairement... Ce qui revient à dire qu'il faut une droite et une gauche distinctes pour faire exister le centre. Le paradoxe des centristes est qu'ils se nourrissent des clivages qu'ils dénoncent. Que les frontières s'estompent, quand l'embauche ne craint pas« la débauche », le centrisme produit ses effets et précipite sa chute. La déclinaison locale des figures centristes défie les lois de la géométrie: elle rejoint la majorité de droite à l'infini; elle se distingue par le culte de l'ironie, la critique à la marge (pas assez de démolition, de développement durable...) mais assure la majorité de son indéfectible soutien.
Pour tromper la fatalité, l'hyperactivité est devenue la mode. Il faut se montrer partout, parler beaucoup et surtout faire parler. Le débat démocratique fait les frais de l'hypercommunication et des affrontements passéistes. Chez nous, la première magistrate de la Ville multiplie son portrait dans le journal municipal, profite de la cérémonie des voeux pour annoncer sa candidature à sa réélection, et ne perd pas une occasion pour faire perdurer une logique d'affrontement: attaques personnelles, opacité des processus de décision, choix sélectif des interlocuteurs lors des concertations... Mais pour que le jeu perdure, il faut être 2! Une partie de l'opposition pratique trop souvent l'affrontement systématique, instrumentalise les ressentiments (fait signer des pétitions pour obtenir un débat sur le stationnement mais déserte les bancs du Conseil municipal le jour où la question est enfin portée à l'ordre du jour!), prétend défendre les plus démunis en faisant de la surenchère: qui sera le plus anti-maire, le plus unitaire à gauche... Ce qui unit ces approches politicardes, c'est le fantasme du « complot »: débattre, négocier ouvertement dans l'intérêt commun, c'est déjà être ce « complice » qu'il convient de dénoncer. Dire que ceux qui utilisent de tels procédés sont les premiers à dénoncer les méthodes staliniennes!
Pas d'histoires! Bas les masques « frères ennemis »! 80 % des décisions locales sont votées à l'unanimité du conseil municipal. Ce qui ne veut pas dire que les 20 % restantes ne sont pas déterminantes. Mes discussions avec mes contradicteurs locaux m'ont fait apparaître une ligne d'opposition fondamentale: une prédominance de l'individu pour les uns et du collectif pour les autres. Il en résulte une approche politique dialectique: Les uns souhaitent que des règles collectives strictement limités sécurisent prioritairement l'épanouissement de l'individu, les autres pensent que les règles collectives permettent l'épanouissement harmonieux des individus. La politique locale n'échappe pas à cette différenciation: la majorité actuelle privilégie l'approche au cas par cas, l'initiative privée, le village plutôt que le quartier et la ville, l'opposition insiste davantage sur la globalité, le rôle régulateur de l'action publique, les grands équilibres urbains...
Je pense que cette tension entre les 2 approches est féconde et que des querelles de personnes ou de clans ne peuvent que l'appauvrir. Une ville doit sa richesse à la multiplicité des initiatives individuelles complémentaires. Elle ne peut néanmoins rester indifférente aux fractures économiques et sociales qui la segmentent. C'est ici que l'action politique prend tout son sens.